mardi 12 octobre 2010

Flashback

J'ai une vingtaine d'années. Elle a 10 ans de plus que moi. Je suis stagiaire larbin dans un service quasi exclusivement féminin. Ce qui bien sûr n'est pas pour me déplaire. D'autant plus que je suis rapidement devenu le chouchou du service. On va dire que je devais dégager quelque chose. Une toute autre époque. Elle est chef de je ne sais plus quoi, dans un autre service. Brune, espagnole, yeux verts. Mignonne à croquer. Faussement coincée. Elle m'aime bien, je le vois assez vite. Elle me demande souvent un coup de main pour des trucs qu'elle pourrait gérer aisément. Le feeling passe immédiatement. On se marre bien. Tout nous sépare. Elle est mariée, deux enfants, du mal à gérer, une maison qu'elle a du mal à rembourser, un mari marié à son boulot. Je suis encore étudiant fêtard, je ne sais pas ce que je veux faire de ma vie, je suis accro à une voisine d'amphithéâtre qui ne veux pas de moi. Un jour alors que nous nous rendons à un rdv professionnel je m'aperçois qu'elle fait exprès de s'engouffrer dans une voie embouteillée. Elle profite du temps que nous avons devant nous pour me déballer sa vie, son mariage qui a du plomb dans l'aile, son homme qui ne la baise plus. Une femme à deux doigts de la crise de nerfs. Tout ce qu'elle me raconte est très loin de ma vie et m'effraie un peu. J'éprouve pour elle un mélange de tendresse et de désir mais je ne me sens pas concerné. Je me dis que je ne suis pas pressé de vieillir. Un soir alors que je m'apprête à partir, elle débarque dans mon bureau en larmes, me dit qu'elle a complètement merdé, qu'elle a besoin de mon aide. Je reste lui donner un coup de main. On s'active comme des malades et en deux heures on a presque corrigé la boulette qui aurait pu lui coûter cher me dit-elle. Alors que j'enfile mon manteau avec l'espoir d'arriver à temps pour la dernière séance, elle me balance qu'elle m'aime. Une belle déclaration, les yeux humides. Elle attend manifestement que je lui saute dessus. Ma réaction ? Je me fige un instant, songe à toutes les implications, lui souhaite un bon week-end et mets les voiles.

Je m'ennuie au cinéma lorsque cette histoire lointaine me revient en tête. Allez savoir pourquoi. Je n'y avais jamais repensé depuis. Peut-être que l'un des personnages du film me fait penser à elle. Bien sûr je me trouve rétrospectivement bien lâche. Et bien couillon de ne pas l'avoir sautée sur son bureau ce soir-là. Elle et d'autres d'ailleurs. J'ai souvent été couillon à l'époque. Quand on est jeune on ne s'imagine pas que la vie va vous tendre de moins en moins de perches. Cet épisode lointain me revient en mémoire parce qu'il est symptomatique. Il est probable que si je suis ce que je suis aujourd'hui, c'est aussi en réaction à mes occasions manquées. Pour la lâcheté, je suis sceptique sur les progrès réalisés.


Bande son :
Pavement - Elevate me later



2 commentaires:

dita a dit…

c'est malin, ça!
et du coup, elle est restée toute la nuit dans le bureau...?
:)

Kinky a dit…

@ dita :
Non, elle est rentrée changer les couches des gosses.